Georges Mathieu à la Monnaie de Paris : l’abstraction en majesté
En collaboration avec le centre Georges Pompidou, La Monnaie de Paris a frappé fort avec la rétrospective Georges Mathieu : geste, vitesse, mouvement, la première de cette ampleur depuis plusieurs décennies. Figure emblématique de l’abstraction lyrique, Mathieu a su faire vibrer les murs de cette institution avec ses toiles puissantes, énergiques, et profondément expressives.
L’exposition propose un parcours chronologique et thématique qui retrace avec finesse les grandes périodes de la carrière de Mathieu, de ses débuts dans les années 1940 jusqu’à ses dernières œuvres, en passant par ses expérimentations audacieuses des années 1960 et 1970.Du XXe siècle au XXIe, Mathieu, souvent relégué aux marges de l’histoire de l’art officielle, réapparaît ici dans toute sa splendeur, redonnant à son œuvre la profondeur qu’elle mérite.
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« Je peins dans l’urgence, pour ne pas laisser à l’intellect le temps de censurer l’intuition. » Georges Mathieu, 1960.
Cette citation résume parfaitement sa philosophie du geste spontané, opposée à la construction rationnelle de l’abstraction géométrique.
1. Une redécouverte bienvenue
Le choix de la Monnaie de Paris comme lieu n’est pas anodin : Georges Mathieu y a frappé une pièce de 10 francs dans les années 70. Cette exposition boucle ainsi une boucle, et redonne sens à sa conception de l’artiste comme “héros moderne”, à la fois créateur, penseur et communicateur. Longtemps considéré avec méfiance pour son succès médiatique ou son rôle dans le design industriel, Georges Mathieu retrouve ici toute sa légitimité artistique. L’exposition réussit le pari de réconcilier le public avec cette figure singulière de l’art d’après-guerre, à la fois érudit, mystique, et flamboyant.
Une scénographie immersive
La scénographie, volontairement épurée, laisse toute la place aux œuvres. Les toiles, souvent monumentales, respirent pleinement dans l’espace, presque solennelles. Des vidéos d’époque, des documents d’archives et des extraits de ses textes théoriques ponctuent le parcours, offrant un contexte essentiel à sa démarche artistique. On y découvre la fougue calligraphique de l’artiste, ses gestes amples, presque chorégraphiques, capturés sur la toile dans une tension palpable entre chaos et maîtrise.

L’abstraction lyrique : entre émotion et fulgurance
Georges Mathieu n’était pas un peintre cérébral mais un artiste du geste. À travers l’exposition, on mesure la radicalité de sa démarche : peindre vite, sans repentir, dans une forme de transe qui annonce certaines performances contemporaines. Le visiteur est frappé par la modernité de ce geste, qui reste d’une grande puissance visuelle.
« Peindre, c’est se livrer. C’est une mise à nu devant l’instant. »
Il revendiquait une forme de sincérité radicale dans l’acte de peindre, assimilée à une forme de performance ou de rituel.

Des œuvres emblématiques
Parmi les œuvres présentées, certaines pièces phares captivent par leur intensité. On pense notamment à La Bataille de Bouvines ou à ses toiles noires et or des années 70, véritables incantations picturales. Le parcours met également en valeur ses travaux moins connus, comme ses expérimentations sur supports métalliques ou ses collaborations avec le monde industriel.



2. Le parcours de l’exposition
Le parcours de l’exposition s’organise en six sections, chacune éclairant un aspect déterminant de la pratique de Mathieu.
L’émergence de l’abstraction lyrique
On entre dans l’exposition par les prémices de son œuvre : les années d’après-guerre, où Mathieu se détache de la figuration pour proposer une nouvelle forme d’abstraction intuitive, opposée à l’abstraction géométrique de Mondrian ou Kandinsky. On y voit déjà poindre le geste libéré, l’improvisation, la vitesse d’exécution – marqueurs de ce que Mathieu théorise comme une “peinture d’urgence”
« L’abstraction lyrique, c’est l’éclatement de l’émotion sur la toile » Georges Mathieu
Une formule simple mais puissante qui montre combien il plaçait l’émotion au cœur de la création artistique. Lors de l’exposition, on retrouve un clin d’oeil à ses influences picturales comme Camille Bryen, Wols ou Jackson Pollock, tous adeptes de la “figuration non psychique”.


Le geste comme écriture
Cette partie met en lumière l’influence calligraphique et orientale sur son travail. Les toiles vibrent de traits nerveux, presque chorégraphiés. Des vidéos d’archives montrent Mathieu en train de peindre en public, en costume cravate, dans un rituel quasi-théâtral. Il peint debout, sans esquisse, tel un performeur.

Les grandes batailles de l’Histoire
Une salle saisissante est consacrée à ses œuvres monumentales à thème historique : La Bataille de Bouvines, Le Sacre de l’Homme, La Victoire de Denain. Ces toiles, à la croisée de la peinture d’histoire et de l’abstraction, montrent un Mathieu habité par la grandeur et le lyrisme, refusant l’élitisme froid de l’art conceptuel.

L’artiste médiatique et industriel
C’est peut-être la section la plus surprenante : Mathieu designer, créateur de logos, de meubles, d’emballages… Il dessine des affiches pour Air France, conçoit des pièces de monnaie (évidemment !), collabore avec Usinor. Cette hybridation entre art et industrie, autrefois décriée, est aujourd’hui perçue comme visionnaire.


Matières, couleurs, surfaces
Cette partie met en avant les expériences matérielles de l’artiste : fonds métalliques, dorures, empâtements… On découvre un Mathieu plus sensuel, voire baroque, dont la matière picturale s’épaissit, s’illumine, se densifie dans les années 1970-80.

Le crépuscule et la postérité
Enfin, l’exposition se clôt sur des œuvres tardives, parfois plus sombres, mais tout aussi intenses. On mesure aussi ici l’héritage de Mathieu dans la scène contemporaine – avec des références croisées à des artistes performatifs ou abstraits d’aujourd’hui, qu’il a influencés malgré eux.
L’exposition réussit à dépasser les clichés qui ont longtemps entouré Mathieu : l’artiste médiatique, narcissique, conservateur… Ce que montre cette rétrospective, c’est un homme habité par la peinture, profondément engagé dans la défense d’un art de la sensation et de la transcendance.
Cette expo montre aussi combien Georges Mathieu, loin d’être un anachronisme, était en avance sur son temps : dans son rapport au corps, au geste, à la performance, et même à l’interdisciplinarité. À l’heure où l’art contemporain célèbre les formes hybrides et les pratiques libres, son œuvre retrouve toute sa pertinence.
3. Le dialogue avec les artistes graffiti
Quand le graffiti rencontre l’abstraction lyrique
L’un des moments les plus surprenants — et stimulants — de l’exposition consacrée à Georges Mathieu à la Monnaie de Paris réside dans la rencontre entre son œuvre et celle d’artistes issus de la scène graffiti. Loin d’un simple clin d’œil ou d’un exercice de style, cette mise en regard crée un véritable dialogue entre deux formes d’expression viscérales, libres et profondément ancrées dans leur époque.


Georges Mathieu, pionnier de l’abstraction lyrique, peignait avec urgence, porté par le geste, l’énergie, l’instant. Une approche que les artistes graffiti, souvent habitués à créer dans l’espace urbain, connaissent bien. À travers cette section de l’exposition, certains d’entre eux réinterprètent librement les œuvres de Mathieu : non pas en les copiant, mais en les prolongeant, en les réactivant avec leur propre langage, fait de couleurs vives, de traits expressifs, d’élans bruts.
Le résultat : un face-à-face vibrant entre deux générations, deux formes de rébellion artistique. Le graffiti, longtemps marginalisé, trouve ici une place légitime dans le musée, et l’œuvre de Mathieu, loin d’être figée dans le passé, entre soudainement en résonance avec les mouvements contemporains. On découvre alors à quel point ses toiles parlent encore aux artistes d’aujourd’hui — et combien son geste a peut-être inspiré, sans le savoir, toute une culture visuelle née dans la rue.


Les artistes graffiti reinterprètent le travail de Mathieu
Dans l’exposition Graffiti x Georges Mathieu : Geste, Vitesse, Mouvement, six artistes urbains ont été invités à créer des œuvres in situ, dialoguant directement avec les dessins sur papier de Georges Mathieu. Cette confrontation artistique met en lumière les résonances entre l’abstraction lyrique et le graffiti contemporain.
JonOne, figure emblématique du street art, a réalisé une fresque monumentale aux couleurs éclatantes, capturant l’énergie et la spontanéité du geste cher à Mathieu. Son travail évoque une explosion de couleurs et de mouvements, reflétant la dynamique de l’abstraction lyrique.


Lek & Sowat, duo reconnu pour leurs explorations architecturales et typographiques, ont conçu une installation immersive mêlant calligraphie urbaine et structures géométriques. Leur œuvre crée un pont entre les signes de Mathieu et le langage visuel du graffiti.


Nassyo, artiste aux influences multiples, a présenté une série de toiles où se mêlent abstraction et symbolisme. Ses compositions, riches en textures et en contrastes, offrent une relecture contemporaine des motifs de Mathieu. Pour sa fresque en écho au travail de Georges Mathieu, Nassyo a travaillé directement au tube de peinture sur le mur, comme le faisait Mathieu.
Camille Gendron a proposé une installation épurée, jouant sur la transparence et la superposition des formes. Son approche minimaliste met en valeur la gestualité et la fluidité du trait, en écho aux œuvres sur papier de Mathieu.
Matt Zerfa, quant à lui, a investi l’espace avec une série de peintures murales aux lignes dynamiques et aux couleurs vives. Son travail souligne la rapidité d’exécution et l’intensité émotionnelle, caractéristiques communes au graffiti et à l’abstraction lyrique.
Découvrez les artistes abstraits de l’équipe Background Paris.


Ces créations, réalisées spécifiquement pour l’exposition, offrent une relecture contemporaine de l’œuvre de Georges Mathieu. Elles témoignent de l’influence persistante de son art sur les pratiques artistiques actuelles et illustrent la vitalité du dialogue entre les générations.
Cette rétrospective à la Monnaie de Paris est bien plus qu’un hommage : c’est une réhabilitation. Elle rappelle à quel point Georges Mathieu a ouvert la voie à une peinture libre, instinctive et universelle. Un rendez-vous indispensable pour tout amateur d’art contemporain.
En sortant de l’exposition, on ne voit plus Georges Mathieu comme un “artiste du passé” mais comme un visionnaire oublié, en dialogue direct avec nos préoccupations artistiques contemporaines. Cette rétrospective à la Monnaie de Paris n’est pas seulement un hommage : c’est une redécouverte fondamentale, qui réinscrit Mathieu au cœur du récit de l’abstraction.
